30.6.06

Je vous souhaite la pluie : merci !

Je viens d'entamer un roman fabuleux : Je vous souhaite la pluie, premier livre de la journaliste franco-camerounaise Elizabeth Tchoungui. J'adore son style d'écriture, très original, qui mélange des jeux de mots grinçants et des expressions du français d'Afrique. Dans ma tête, je lis son texte en l'interprétant avec la voix et l'intonation africaines de la comédienne sénégalaise Maïmouna Gueye, dont j'ai vu et apprécié les deux pièces Souvenirs de la dame en noir et Bambi, elle est noire mais elle est belle. On retrouve d'ailleurs chez l'écrivain-journaliste et chez la comédienne des sujets très avoisinants : la condition de la femme africaine et des anecdotes de sa venue en France.
Le synopsis : Ngazan est née pauvre et fière dans un bidonville africain. Par amour pour un jeune Français, elle accepte de le suivre à Paris. Mais la Ville Lumière n'est pas un eldorado. Elle découvrira vite que la condition de femme africaine et vertueuse est la même partout, dans la forêt équatoriale ou dans la jungle urbaine occidentale : vraiment, vraiment pénible...

Je vous laisse savourer quelques extraits croustillants :
Le début : "Elle avait trop d'orgueil pour faire boutique mon cul. Dommage, c'était un lourd handicap. Quand Dieu vous a concédé la plus belle chute de reins du quartier Essos, les pommettes les plus saillantes de Yaoundé 4e arrondissement, le sourire le plus dévastateur de la province du Centre, et la peau la plus veloutée du Cameroun, ne pas écarter ses cuisses fuselées à qui mieux mieux, c'est se fermer les portes du paradis, se faire reléguer au purgatoire par un saint Pierre énervé, tout en désapprobation lippue :
— Vois-moi cette fille-là! Elle croit même que quoi? Vrai de Dieu, elle n'a rrrrien compris! Mouf! rentre alors chez toi, au quartier."

"Ngazan peut remercier l'entrepreneur véreux qui a remporté le marché pour bitumer cette route : s'il n'avait pas fui en Europe avec le pactole, condamnant à perpétuité la rue à la boue et aux crevasses, le goudron aurait attisé la convoitise des promoteurs, et elle serait déjà expropriée avec tous les siens. Pour aller où ?"

"Reteuteu, reuteuteu, l'engin doit en être à sa douzième vie. Né en Belgique il y a une bonne vingtaine d'années, vendu à un Wallon puis à un Flamand puis à un Liégeois, racheté par un routard pour traverser le Sahara, avec l'idée de le revendre pour payer son billet de retour, mort étouffé sous une dune aux abords de Nouakchott, ressuscité par un Mauritanien débrouillard, repéré par un grossiste d'occasion sénégalais, expédié dans un conteneur à destination de Douala, détourné par un douanier, revendu à une cousine commerçante, que ses affaires de plus en plus florissantes ont conduite à acheter une Mercedes Kompressor - un véhicule à la hauteur de son nouveau standing - et, moyennant quelques liasses de CFA, à se débarrasser de cette inconvenante épave, qui pour finir est venue grossir la flotte de taxis improbables de Tchouangang Kontchou Victor Célestin, heureux propriétaire d'une dizaine de brouettes motorisées que maudiraient les experts du protocole de Kyoto susceptibles d'aventurer leurs fesses sur les sièges défoncés, tant elles contribuent à la pollution générale de la planète.
- Cancrelat ! Espèce ! Chien vert !
Le chauffeur invective copieusement un taxi qui lui a coupé la route, estimant sans doute que le feu rouge qu'il a brûlé était facultatif."

"Ngazan se demandait pourquoi les amoureuses des écrivains français étaient toujours absentes, ce qui obligeait ces derniers à se languir au bord d'un lac en attendant le retour de la bien-aimée qui bien souvent ne revenait pas. Ils sont tristes tout de même, ces Blancs. C'est vrai que le grand amour est trop rare pour être perdu, de même qu'il est trop rare pour être trouvé, mais en attendant qu'il se manifeste éventuellement, pourquoi ne pas se bringuer, sans Gervais, sans JB, sans cette mère maquerelle d'Hortense, seule sur la piste, juste en face de ce White qui a l'air un peu perdu, à peine descendu de l'A 340 d'Air France, pas encore déniaisé par la complexité africaine, et qui en plus, Dieu est parfois grand quand il se décarcasse un peu, est plutôt joli et observe Ngazan du coin de l'oeil ?"

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