13.6.06

La plus belle histoire de l'amour : le XIXe siècle

Je viens de terminer la lecture de La plus belle histoire de l'amour, du coup j'ai pris un peu de retard sur les petites synthèses et citations que je vous propose. Ce n'est pas toujours évident de trouver le temps, alors que les trajets en métro restent, eux, obligatoires et un peu de lecture les habille agréablement...
Après avoir donc évoqué l'amour à l'époque de l'Ancien Régime puis de la Révolution, voyons aujourd'hui quelle a été sa place au XIXe siècle.

Le XIXe siècle : le temps des oies blanches et des bordels (par Alain Corbin)
Après la froide parenthèse révolutionnaire, le XIXe siècle s'ouvre dans un soupir romantique, comme si le sentiment amoureux, si longtemps réprimé, devenait une priorité. Le thème de l'amour romantique est omniprésent dans les romans (Chateaubriand, Lamartine), mais il se glisse aussi dans les manuels de savoir-vivre et même dans la littérature pieuse. Le XIXe siècle est le grand siècle de la confession, de l'introspection, du journal intime. Mais attention, cet amour reste dans l'évocation et la distance, il "ne se dit que lorsqu'il y a manque, obstacle, éloignement, souffrance ; l'historien trouve peu de traces du bonheur."

En dépit de ce discours romantique, le mariage reste organisé par la contrainte sociale : "il existe un véritable marché matrimonial." "Dans l'ordre du désir, la correspondance de Flaubert le montre : on décèle une étonnante tension entre les postures angéliques du romantisme et les pratiques masculines qui se caractérisent par les exploits du bordel. C'est le temps des oies blanches et des maisons closes. On ne vit pas et on ne dit pas la sexualité de la même manière, selon que l'on est homme ou femme."
En effet, l'imaginaire féminin est centré sur la pudeur. "Un système de convenances et de rites précis s'élabore pour codifier la vie privée et dissimuler le corps féminin. [...] Le corps est caché, corseté, protégé par des noeuds, des agrafes, des boutons... La pudeur obsédante, la complication raffinée des vêtements ont évidemment des effets pervers : elles suscitent un érotisme diffus [...]."
Quant au monde masculin, il est celui "des pratiques vénales et d'une double morale permanente : le même jeune homme, qui identifie la jeune fille à la pureté et fait sa cour selon le rituel classique, connaît des expériences sexuelles multiples avec des prostituées, des cousettes (les ouvrières à l'aiguille dans les grandes villes) ou une "grisette", jeune fille facile qu'il abandonnera pour épouser une héritière de bonne famille." Il y a donc, pour les hommes, deux types de femmes : l'ange et la garce. Une vraie dualité aussi dans la représentation du corps féminin, à la fois idéalisé et dégradé.
Quelle peut alors être la sexualité de ces deux espèces si différentes ? La distinction entre classes bourgeoises et campagnes persiste.
"Chez les bourgeois, la nuit de noces est une épreuve. C'est le rude moment de l'initiation féminine par un mari qui a connu une sexualité vénale. D'où la pratique ascendante du voyage de noces, en vue d'épargner à l'entourage familial un moment aussi gênant..." Le lit conjugal est l'autel où l'on célèbre l'acte sacré de la reproduction ; tout le reste est prohibé, donc, peu de place pour le plaisir. Alors, les maris frustrés se soulagent dans les maisons closes de quartiers, qui sont tolérées à partir du Consulat.
Dans les campagnes, dès les premières années de la monarchie de Juillet, le discours de l'amour romantique se popularise. Les jeunes couples vivent leurs amours avec plus de liberté et d'honnêteté. Le sentiment s'exprime peu par le langage, mais plutôt par le geste : on se caresse, on se touche, on se courtise. Dans certaines régions, comme en Corse ou au Pays Basque, on pratique une forme de concubinage ou de mariage à l'essai.
Quant au rôle de l'Eglise, c'est l'époque où l'usage du confessionnal se généralise. "Le prêtre a pour mission de veiller à la pureté de la jeune fille et à la fidélité de l'épouse. Mais il ne s'attarde pas trop sur les frasques des messieurs, d'autant que les garçons cessent généralement d'aller se confesser après leur première communion. Le clergé exerce alors un véritable tribunal des consciences féminines, et condamne sévèrement les fêtes et les jeux qui se prêtent à la luxure : bals, "pardons" bretons, veillées, repas de noces..." Entre 1815 et 1850, l'Eglise avait commencé à fermer les yeux sur une sexualité conjugale dont le but n'était pas forcément réduit à la procréation ; mais en 1851, Rome condamne toute forme de coopération de la femme dont l'époux pratique l'onanisme.
Une grande nouveauté de l'époque, c'est que la science se mêle de la sexualité. Pour les médecins, "il convient d'éviter de stimuler la curiosité des femmes, de circonscrire [...] ce qui leur est licite de lire ou de regarder". Ils "dénoncent toutes les pratiques déviantes qualifiées d' "antiphysiques" : sodomie, bestialité, pédérastie." Les homosexuels ne sont plus des pécheurs mais des malades, qu'il convient donc de soigner. Les médecins craignent également les méfaits des caresses entre époux qu'ils qualifient de "fraudes conjugales". Quant à la masturbation, elle suscite l'effroi, et "conduit, selon les médecins, à une perte d'énergie, à un lent dépérissement, voire à la mort. En outre, elle s'accompagne d'une dangereuse surchauffe de l'imagination". (Imaginez les gynécologues ou sexologues nous faire aujourd'hui ce genre de remarques !...)

Dans le domaine de la vie privée, un autre siècle s'amorce à partir de 1860, comme si l'on commençait timidement à tourner la vieille page de la répression. Le code romantique commence à se dégrader, comme le montre Madame Bovary, ce roman de Flaubert qui porte en lui une remise en cause de l'imaginaire romantique. Parallèlement se développe l'anticléricalisme : on accuse les confesseurs d'être trop curieux, de se mêler de secrets trop intimes."L'image du prêtre séducteur, pervers, troublé par l'impudeur de l'aveu des femmes, se popularise. Les maris le voient comme un concurrent susceptible de leur voler leur propriété."
Le divorce, adopté en 1792 par les révolutionnaires puis supprimé en 1816, est rétabli en 1884. L'adultère est très présent dans le roman et le vaudeville, mais demeure pourtant un délit en droit. Se développe alors une pratique inédite entre les jeunes gens : le flirt. Les femmes y trouvent une nouvelle forme de liberté, "à mi-chemin entre l'oie blanche et la jeune fille libérée. [...] Ce nouvel érotisme diffuse plus de douceur. La sexualité conjugale en est changée, et le plaisir féminin commence à se dire. Quelques docteurs audacieux conseillent aux maris d'user de plus de tendresse. Le couple conjugal s'érotise." Un détail intéressant : le jeune homme introduit dans le lit conjugal des raffinements appris auprès des prostituées.
A la fin du XIXe siècle se dessine donc un couple plus uni : une femme plus avertie, un homme plus soucieux de sa partenaire. Une sexualité plus sensuelle apparaît entre époux.

A suivre... (Les années folles)

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