4.6.06

La plus belle histoire de l'amour : la Révolution

La Révolution : la Terreur de la Vertu (par Mona Ozouf)
Les relations entre le hommes et les femmes auraient pu bénéficier du bouillonnement des idées, de l'esprit de liberté et d'égalité de 1789. Pourtant, la Révolution est - par essence - ennemie de la vie privée. Les révolutionnaires ont combattu tout ce qui favorisait le sentiment amoureux : le flirt, le goût de la conversation, la mixité dans les salons... "La Révolution a tué les échanges. La civilité des manières et de l'esprit a été remplacée par une forme d'idéal héroïque, viril, reviviscence de l'idéologie spartiate ou romaine".
En continuité de l'Ancien Régime, la revendication pour le mariage d'amour court toujours dans les milieux populaires (où les intérêts comptaient moins et où les jeunes se fréquentaient). Mais dans les milieux éclairés des Lumières, le mariage reste un arrangement, avec les habitudes masculines de la noblesse.
C'est Rousseau, avec sa Nouvelle Héloïse, qui exprime des idées nouvelles sur l'amour. "Pour lui, l'homme et la femme n'ont pas la même vocation, et cette dissymétrie fait le bonheur de l'un et de l'autre. La femme a, ancrés en elle, un goût de plaire et une pudeur naturelle. C'est en vainquant cette pudeur que les amoureux trouvent tous deux la volupté : la pudeur est constitutive du plaisir... Plus important, Rousseau déculpabilise la sexualité féminine : Julie couche avec Saint-Preux, mais elle reste vertueuse. Fidèle à sa promesse initiale, elle n'oublie jamais ce premier amour, tout en construisant une vie rayonnante avec l'autre homme imposé par son père." Elle renonce de s'enfuir avec son amant, "estimant qu'elle ne pourrait pas être heureuse dans le chagrin qu'elle infligerait alors à ses parents, et accepte le mari qu'on lui propose. Pour Rousseau, la passion n'est pas tout, elle ne peut annuler les autres liens naturels. Si les sentiments ne peuvent se concilier entre eux, [...] on se débrouille pour trouver quand même le bonheur avec les morceaux de ce qui reste." L'exemple de Julie montrait aux femmes de la Révolution "qu'il était quand-même possible de s'épanouir et de réussir sa vie en acceptant les contraintes sociales et familiales, qu'il y avait une vie amicale possible avec un mari pour lequel on n'éprouvait pas ou plus de passion." Rousseau a une autre idée incroyablement moderne, l'absence de devoir conjugal : "une femme n'est pas tenue d'obéir à son mari" et "le consentement mutuel est la base de tout engagement amoureux".
Grâce à Rousseau et aux philosophes du XVIIIe, on comprend que l'on doit s'opposer non seulement au despotisme des rois mais aussi à celui des pères et des maris. "La famille, proclame-t-on, doit être régie par les mêmes lois que la nation : liberté et égalité." Le mariage civil, laïc, est adopté en rupture totale avec le principe du mariage chrétien révolutionnaire "indissoluble". "Quant au divorce, il est alors d'une incroyable libéralité. On peut divorcer par consentement mutuel [...], par incompatibilité d'humeur [...] ou pour différents motifs reconnus : démence, condamnation pénale, abandon, absence, dérèglement des moeurs, émigration, sévices ou crimes... Et l'épouse y a droit autant que son mari. C'est la loi la plus libérale que l'on puisse imaginer, qui, pour la première fois, donne une chance d'inventer un couple égalitaire." Cette législation révolutionnaire est très en avance sur les moeurs, elle rend à chacun sa responsabilité sur sa vie privée, heureuse ou malheureuse. Mais cette loi ne durera pas : bientôt, le divorce par incompatibilité d'humeur et par consentement mutuel seront supprimés.
En 1793, Robespierre lance la Terreur et la Vertu. La Révolution codifie et réglemente les rapports humains, au détriment de l'amour, et finalement des femmes. Alors qu'en 1789, les femmes s'étaient engagées en créant des sociétés patriotiques et des clubs, à l'heure du jacobinisme vertueux, elles retombent dans les poncifs de la maternité et de la moralité conjugale. Le jacobinisme se méfie d'elles et de leur émotivité, qui peut les amener à refuser la suprémacie de l'idéal révolutionnaire (pour abriter les prêtres réfractaires, par exemple). Les femmes elles-mêmes sont devenues hostiles à la Révolution, qui ne répondait plus à leurs valeurs : "déçues, écoeurées, elles sont rentrées à la maison, en formulant le voeu que la politique n'atteigne pas leur foyer !"
Enfin, l'idée de dichotomie totale entre monarchie et république mérite d'être approfondie. On pense à cette époque que la monarchie est le règne des femmes et la république celui des hommes. "Pour Hume, la France est le pays de la monarchie, du libertinage, du commerce libre entre les sexes. Pour Montesquieu, l'Angleterre (qu'il considère comme une république de fait, n'ayant de monarchie que le nom) est le pays où les hommes participent activement à la vie de la cité, même dans les campagnes, les femmes restant confinées dans leur monde à elles." La république est donc vue comme hostile aux femmes : avec l'avènement de la Révolution, il n'y a plus de mixité dans la société française. Avec le temps, "les moeurs républicaines ont fini par intégrer la tradition de mixité aristocratique de ce pays". Heureusement !

A suivre... (le XIXe siècle)

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