30.6.06

Je vous souhaite la pluie : merci !

Je viens d'entamer un roman fabuleux : Je vous souhaite la pluie, premier livre de la journaliste franco-camerounaise Elizabeth Tchoungui. J'adore son style d'écriture, très original, qui mélange des jeux de mots grinçants et des expressions du français d'Afrique. Dans ma tête, je lis son texte en l'interprétant avec la voix et l'intonation africaines de la comédienne sénégalaise Maïmouna Gueye, dont j'ai vu et apprécié les deux pièces Souvenirs de la dame en noir et Bambi, elle est noire mais elle est belle. On retrouve d'ailleurs chez l'écrivain-journaliste et chez la comédienne des sujets très avoisinants : la condition de la femme africaine et des anecdotes de sa venue en France.
Le synopsis : Ngazan est née pauvre et fière dans un bidonville africain. Par amour pour un jeune Français, elle accepte de le suivre à Paris. Mais la Ville Lumière n'est pas un eldorado. Elle découvrira vite que la condition de femme africaine et vertueuse est la même partout, dans la forêt équatoriale ou dans la jungle urbaine occidentale : vraiment, vraiment pénible...

Je vous laisse savourer quelques extraits croustillants :
Le début : "Elle avait trop d'orgueil pour faire boutique mon cul. Dommage, c'était un lourd handicap. Quand Dieu vous a concédé la plus belle chute de reins du quartier Essos, les pommettes les plus saillantes de Yaoundé 4e arrondissement, le sourire le plus dévastateur de la province du Centre, et la peau la plus veloutée du Cameroun, ne pas écarter ses cuisses fuselées à qui mieux mieux, c'est se fermer les portes du paradis, se faire reléguer au purgatoire par un saint Pierre énervé, tout en désapprobation lippue :
— Vois-moi cette fille-là! Elle croit même que quoi? Vrai de Dieu, elle n'a rrrrien compris! Mouf! rentre alors chez toi, au quartier."

"Ngazan peut remercier l'entrepreneur véreux qui a remporté le marché pour bitumer cette route : s'il n'avait pas fui en Europe avec le pactole, condamnant à perpétuité la rue à la boue et aux crevasses, le goudron aurait attisé la convoitise des promoteurs, et elle serait déjà expropriée avec tous les siens. Pour aller où ?"

"Reteuteu, reuteuteu, l'engin doit en être à sa douzième vie. Né en Belgique il y a une bonne vingtaine d'années, vendu à un Wallon puis à un Flamand puis à un Liégeois, racheté par un routard pour traverser le Sahara, avec l'idée de le revendre pour payer son billet de retour, mort étouffé sous une dune aux abords de Nouakchott, ressuscité par un Mauritanien débrouillard, repéré par un grossiste d'occasion sénégalais, expédié dans un conteneur à destination de Douala, détourné par un douanier, revendu à une cousine commerçante, que ses affaires de plus en plus florissantes ont conduite à acheter une Mercedes Kompressor - un véhicule à la hauteur de son nouveau standing - et, moyennant quelques liasses de CFA, à se débarrasser de cette inconvenante épave, qui pour finir est venue grossir la flotte de taxis improbables de Tchouangang Kontchou Victor Célestin, heureux propriétaire d'une dizaine de brouettes motorisées que maudiraient les experts du protocole de Kyoto susceptibles d'aventurer leurs fesses sur les sièges défoncés, tant elles contribuent à la pollution générale de la planète.
- Cancrelat ! Espèce ! Chien vert !
Le chauffeur invective copieusement un taxi qui lui a coupé la route, estimant sans doute que le feu rouge qu'il a brûlé était facultatif."

"Ngazan se demandait pourquoi les amoureuses des écrivains français étaient toujours absentes, ce qui obligeait ces derniers à se languir au bord d'un lac en attendant le retour de la bien-aimée qui bien souvent ne revenait pas. Ils sont tristes tout de même, ces Blancs. C'est vrai que le grand amour est trop rare pour être perdu, de même qu'il est trop rare pour être trouvé, mais en attendant qu'il se manifeste éventuellement, pourquoi ne pas se bringuer, sans Gervais, sans JB, sans cette mère maquerelle d'Hortense, seule sur la piste, juste en face de ce White qui a l'air un peu perdu, à peine descendu de l'A 340 d'Air France, pas encore déniaisé par la complexité africaine, et qui en plus, Dieu est parfois grand quand il se décarcasse un peu, est plutôt joli et observe Ngazan du coin de l'oeil ?"

28.6.06

Le moral des Français au beau fixe

Je ne sais pas pourquoi, aujourd'hui, mes collègues étaient tous plus surexcités les uns que les autres. Que de blagues et de bonne humeur. "C'est parce que la France a gagné hier", m'a soufflé un collègue. "Non, c'est la pleine lune !", a rétorquée une autre.
En tout cas, dans le service, nous étions la majorité à avoir parié (pas pour de l'argent, juste pour le fun!) que la France perdrait contre l'Espagne, tout en souhaitant le contraire sans trop oser y croire. Mais le score de 3 à 1 n'avait été prédit et prévu par personne.
J'avoue que le match d'hier m'a tenue en haleine de bout en bout et m'a beaucoup surprise par son rythme dynamique et tendu et par la qualité technique des joueurs (bleus comme rouges!). J'ai apprécié un bon moment de sport, du vrai football et non une pluie de fautes graves, d'agressivité et d'énervement inutiles comme pour le match Portugal - Pays-Bas. J'ai vu une équipe de France métamorphosée, très concentrée et qui tout d'un coup a bousculé et écarté l'Espagne donnée comme favorite puisqu'ayant gagné tous ses matches jusque là. Toute considération chauvine écartée, ça m'a vraiment fait plaisir de voir un si beau "spectacle", et des joueurs dans le meilleur de leur forme et de leur capacité (petit bémol pour Thierry Henry, toujours hors-jeu !). On espère encore mieux samedi prochain.
Pour le plaisir, quelques photos (AFP) :

Moments de danse et de mouvements insolites :







Les buts :









La délivrance :




25.6.06

Avril

Voilà une jolie comédie française, pleine de sensibilité et de délicatesse... Avril est le premier long métrage de Gérard Hustache-Mathieu, servi par de jeunes acteurs pétillants et justes (Sophie Quinton, Nicolas Duvauchelle, Clément Sibony et Richaud Valls) - et par une actrice moins jeune (Miou-Miou) -, par une histoire originale et des images contemplatives dans des décors bien agréables (enfin, pas toujours).
Le synopsis : Avril est une jeune novice élevée dans un couvent. Elle s'apprête à prononcer ses voeux perpétuels, lorsqu'on lui révèle l'existence d'un frère jumeau. Elle part à sa recherche et se retrouve en Camargue pour deux semaines de vacances avec trois garçons...
Des moments de gravité alternent avec des moments de légèreté, on s'amuse généralement beaucoup, surtout de la naïveté de cette jeune soeur et des situations décalées qu'elle provoque. Les personnages sont touchants et très humains, et le final inattendu (peut-être trop emphatique ?). Je ne sais pas si c'était pour cause de Fête du cinéma, en tout cas il y avait une très bonne ambiance dans la salle !

22.6.06

Conversation(s) avec une femme

Conversation(s) avec une femme (Conversation with other women), de Hans Canosa, est un film sensible, aux dialogues intelligents et vrais et à la mise en scène audacieuse, avec l'intéressante utilisation du "split-screen" qui divise l'écran en deux pendant tout le film, et deux acteurs formidables, Helena Bonham Carter et Aaron Eckhart.
Le synopsis est bref :
Un homme, une femme.
Leurs retrouvailles un soir de mariage.
Quelques coupes de champagne et le passé refait surface...
Mais il n'y a pas besoin de plus : nous assistons, en huit clos, à une conversation qui dure toute une nuit... deux personnages qui se rencontrent, qui se reconnaissent, qui évoquent le passé et le présent, puis qui se laissent aller à leurs sentiments malgré les conséquences que cela peut impliquer dans leurs vies. Le split-screen donne à voir leur expression en parallèle, pour chaque scène, filmée en temps réel : on suit ainsi le cheminement émotif de chacun des personnages au fil de la nuit : humour, séduction, complicité, rêverie... L'écran divisé matérialise le décalage entre les personnages, le caractère illusoire de leur désir d'union ; il permet aussi d'avoir recours à des flash-back, des incursions mentales vers le passé.
Les chansons de Carla Bruni répondent avec un petit air négligeant et détaché au propos du film.

21.6.06

Fip + Olympia = le bon plan pour la Fête de la musique

Cette année, pour la fête de la musique, nous sommes allés à l'Olympia assister au concert gratuit de Fip.
Au programme :
Orquestra do Fuba, un groupe brésilien joyeux et déjanté ;


Yungchen Lhamo, une voix envoûtante venue du Tibet ;


Salif Keita, le célèbre musicien malien à la belle voix chaleureuse ;


Souad Massi, une voix douce et fraiche d'Algérie.


Les avantages pratiques :
- début à l'heure car retransmission en direct à l'antenne !
- pas trop de monde, parce que malgré la gratuité, les places distribuées à l'entrée sont limitées ;
- pas de pluie dans une salle couverte...

19.6.06

Cocotte minute et autres films d'animation des Gobelins

Petite promo pour le court métrage d'animation réalisé par une amie, Amandine, avec cinq autres de ses camarades, qui terminent tous leur troisième année d'animation aux Gobelins. Il s'appelle Cocotte minute et vous pouvez le visionner à l'adresse :
http://www.gobelins.fr/galerie/animation/, où vous trouverez également tous les autres courts métrages de sa promotion, qui ont été présentés au festival d'animation d'Annecy cette année.
Emprunts d'humour ou de poésie, ils sont tous très inventifs et donnent à voir des univers imaginaires très originaux. De quoi passer de bons petits moments de plaisir.
Le conseil d'Amandine : "attention à ne pas cligner des yeux, les plans ne durent parfois que quelques images!"
PS : www.cocotteminute.net est enfin en ligne !

John Lennon Unfinished Music

Cela fait quelques jours déjà que je suis allée voir l'exposition "John Lennon Unfinished Music" au musée de la Cité de la musique, mais je continue d'y penser régulièrement, comme cela arrive avec les films qui "marquent" l'esprit. Une exposition très riche, qui livre des clés pour comprendre l'univers tant musical que personnel de l'artiste, tout en dépeignant le climat politique, social et artistique de son temps.
Une biographie détaillée de John Lennon est proposée sur le site de la Cité de la musique : ici.
Je reprends un article descriptif de Laetitia Devillars (du site L'Internaute), en italique, auquel j'ajoute mes propres commentaires personnels.

Décryptage d'une pop star

Des manuscrits originaux prêtés par des collectionneurs, des kimonos appartenant au couple mythique John Lennon et Yoko Ono, un portrait du chanteur réalisé par Andy Warhol, des répliques de ses guitares, son harmonica, son clavier Vox et des films inédits tournés par John Lennon lui-même, autant d'objets que le visiteur pourra admirer durant cette exposition. Ces éléments rappelent le prestige et la carrière fabuleuse de celui qui fut le fondateur et le guitariste du célèbre groupe de rock anglais des années 60, les Beatles. Sur 900m², cette exposition d'envergure retrace en treize séquences la vie et le parcours musical de cet artiste. De l'enfance de John Lennon à sa mort tragique le 8 décembre 1980 à New York, cette rétrospective sur la vie et l'œuvre de cet homme engagé explore des cavités encore inconnues de cette icône de la pop anglaise.

Itinéraire vers le succès
Le ton est donné dès le début. Sur fond de "Working Class Hero", émouvant folk song, le visiteur peut découvrir un John Winston Lennon inventif, investi et tourmenté. On peut y voir le Daily Howl, journal qu'il écrit et dessine durant son adolescence ou ses bulletins scolaires qui révèlent un élève moyen au comportement agité. De son enfance à Liverpool jusqu'à son engagement pacifiste en passant par son rôle au sein des Beatles ou son implication dans l'avant-garde artistique de la deuxième moitié des années 60, les commissaires de l'exposition ont dressé un tableau des multiples activités et passions de cet artiste. Des caves de Hambourg au succès mondial des Beatles, chaque étape de son ascension est évoquée. La reconstitution du studio d'Abbey Road est l'un des points forts de cette exposition. Le visiteur plonge dans cette époque où les Beatles se consacraient essentiellement à l'enregistrement de leurs disques. Son rôle au sein de ce groupe est donc abordé avec simplicité. La musique reste évidemment un élément moteur dans sa vie mais elle ne pourrait être dissociée de ses convictions et de ses engagements que ce soit d'ordre politique, artistique ou humaniste. [...]
Cette première partie m'a renvoyée à ma propre enfance, où j'écoutais les disques des Beatles de mes parents. Ces disques ont été parmi les premiers à me familiariser avec la musique rock, et m'inspiraient des chorégraphies folles - celles que l'on conçoit quand on a l'imagination d'un enfant, pas encore formaté dans les "catégories" de danses du monde adulte. Ils étaient aussi pour moi cette langue encore inconnue, l'anglais, sauf évidemment pour la chanson Michelle ma belle que j'entonnais joyeusement. Alors j'ai souvent chanté en déchiffrant les paroles qui étaient mentionnées au dos des pochettes à la pomme verte, avant de commencer à en comprendre le sens.
Dans cette partie de l'exposition, j'ai plus été attirée par le témoignage de John Lennon sur son enfance et ses dessins d'adolescence, révélant déjà une imagination débordante. J'ai notamment découvert que les "champs de fraises" (Strawberry fields forever) n'étaient rien d'autre que le jardin d'un orphelinat de Liverpool où John aimait aller se réfugier étant enfant ! J'ai aussi apprécié les costumes, les vidéoclips et films de Richard Lester, parce que pour ce qui est des concerts des Beatles, j'en avais déjà vus plusieurs fois à la télévision (avec ces filles hystériques, qui criaient en signe de libération dans l'ambiance féconde de l'époque !).

Peace and love
[Sa relation bouleversante avec Yoko Ono] est l'objet de cette deuxième partie de l'exposition qui montre comment l'amour a transcendé l'artiste. Le visiteur franchit ainsi la porte de la galerie Indica de Londres où l'union entre John et Yoko vit le jour en 1966. Il peut même y lire le fameux Celing Piece, ce mot minuscule écrit au plafond, visible grâce à une loupe. Cette japonaise l'a conquis à la fois par son art et par son humour. Le visiteur peut y voir le célèbre "Bed-in" d'Amsterdam relatant leur voyage de noces où ils accueillirent la presse du monde entier dans leur lit pour lancer un appel à la paix et à l'amour. Ces moments de vie privée attestent de la créativité et de l'énergie de l'artiste. De quoi réconcilier les fans des Beatles avec celle qu'ils considèrent comme étant la source du démembrement du groupe mythique.
En effet, j'ignorais totalement quelle avait été l'influence de Yoko Ono dans la vie de l'artiste. On comprend qu'elle l'a familiarisé avec les courants d'avant-garde de l'époque, puisqu'elle-même était un membre actif du groupe Fluxus. Les actions de John Lennon et Yoko Ono se caractérisent par leur humour et leur audace : on s'amuse de voir comment la pochette d'un album (Two Virgins Unfinished Music), où ils apparaissaient nus, a été censurée par du papier kraft le recouvrant. On découvre aussi l'engagement politique du couple en faveur de la paix, avec ces fameux bed-in d'Amsterdam et de Montréal. Jusqu'à passer du côté de l'utopie, en lançant le concept d'un monde sans frontières. Enfin, on arrive à la mort de John Lennon, assassiné le 8 décembre 1980, à 40 ans, par un déséquilibré auquel il avait signé un autographe quelques heures plus tôt. Un plan-séquence de dix minutes, filmé par Raymond Depardon à Central Park à New York, transmet, par le silence pesant de ses fans, toute l'émotion qui entoure la disparition de l'artiste.
Finalement, on se rend compte que Lennon a incarné toutes les illusions politiques et artistiques de la deuxième moitié du XXe siècle ; et quand on voit où en est le monde aujourd'hui, la désillusion est difficile...

L'exposition se terminant le 25 juin 2006, il ne vous reste plus qu'une semaine pour en profiter.

17.6.06

La plus belle histoire de l'amour : liens...

Il a fallu que j'arrive au bout de mon entreprise, pour m'apercevoir que l'Express a publié l'intégralité des entretiens du livre La plus belle histoire de l'amour sur son site web : cliquez ici. Dans la rubrique "Il était une fois l'amour", vous pourrez ainsi passer en revue les différents entretiens que j'ai essayé de synthétiser. Vous pourrez également lire la conclusion très intéressante de la romancière Alice Ferney sur l'amour aujourd'hui : . J'épouse totalement son opinion au sujet de l'importance de la volonté dans l'amour.
Vous aurez aussi le loisir, si cela vous intéresse, de lire les autres articles, sur le baiser, la nouvelle drague (internet et la blog attitude), l'infidélité, la séduction masculine, les bénéfices de l'amour sur la santé, les souffrances de l'amour, les nouvelles règles de l'amour (avec les avis de nombreuses personnalités), ainsi qu'un dossier sur la sexualité.

La plus belle histoire de l'amour : la révolution sexuelle

La révolution sexuelle : jouissons sans entraves ! (par Pascal Bruckner)
Les années 1960 et 1970, avec ce que l'on a appelé la "révolution sexuelle", font exploser l'idéal rassemblant le mariage, l'amour et la sexualité. Le plaisir arrive désormais au premier plan. Cette période est le fruit de toutes les transformations des décennies antérieures. La maîtrise de la reproduction, avec la pilule contraceptive et la légalisation de l'avortement, va achever cette libéralisation. Le climat de l'époque est tout à fait propice à l'amour libre : la prospérité économique des Trente Glorieuses, l'optimisme politique, l'absence de maladie vénériennes. On parle d'une "parenthèse enchantée" entre la pilule et le sida : tous les corps à corps érotiques sont possibles, sans risques. "Tout d'un coup, le sujet amoureux pouvait se penser vagabondant à travers ses désirs, sans freins ni pénalités. La science avait vaincu la vieille idée du péché sexuel. La liberté semblait sans limites."
Pascal Bruckner témoigne : "Au milieu des années 1960, nous brûlions d'envie de savoir, et nous nous saisissions du moindre signe. [...] Et nous voulions en finir avec cette France corsetée, rigidifiée, fermée. Tout ce que nous pouvions happer de l'étranger - le rock, le blues, la soul, les hippies, les cheveux longs - était convoqué chez nous avec une avidité sans limites. Les garçons et les filles se regardaient comme deux tribus qui allaient bientôt sauter l'une sur l'autre, mais qui restaient encore séparées par des interdits." Ces vieux interdits, c'était "la virginité des femmes avant le mariage (mais c'était presque une plaisanterie), la non-mixité dans les écoles, un certain ascendant des hommes sur les femmes, une forme de pudeur..." Les derniers interdits été rongés de l'intérieur par toute une mentalité démocratique et égalitaire, ainsi que par le mouvement socialiste et ouvrier, l'anarchisme, le surréalisme...
"Mai 68, c'est l'acte d'émancipation de l'individu, qui sape la morale collective. Désormais, on se vit comme des individus. On n'a plus d'ordre à recevoir de personne. Ni de l'Eglise, ni de l'armée, ni de la bourgeoisie, ni du parti... Et puique l'individu est libre, il n'a plus d'autres obstacles face à son désir que lui-même. Vivre sans temps mort, jouir sans entraves." La sexualité agit comme "un instrument de mesure du changement en cours".
Mai 68, c'est l'irruption de la volupté et le droit au désir et au plaisir pour tous : même aux femmes ! "Une jeune fille pouvait choisir qui elle voulait, désobéir à la norme sociale, parentale, familiale..." et son désir était enfin reconnu. Puis on est passé de la reconnaissance au passage à l'acte, expérimentant la sexualité par désir ou par curiosité. "Pendant les années 1960 et 1970, il y eut ainsi une énorme avidité : la vie se déroulait sous les couleurs de l'expérience. On se disait qu'il ne fallait rien refuser, même pas les expériences homosexuelles."
Quant au discours sur la sexualité, il était enveloppé dans une idéologie politique : l'orgasme avait des vertus non seulement hédoniques mais aussi politiques. Citons Wilhem Reich, selon lequel "l'absence d'orgasme permettait d'expliquer le double phénomène du fascisme et du stalinisme : c'est parce que les gens ne jouissaient pas qu'ils se choisissaient un Hitler ou un Staline" (!). "Raoul Vaneigem eut même ce jeu de mots, qui paraît consternant aujourd'hui : "Erection, insurrection !". On tentait donc de raccorder l'amour libre à toutes les idéologies en cours, dans un délire fécond qui permettait de libérer la parole. On allait jusqu'à relier la sexualité à la religion : on croyait qu'elle portait un amour universel, qui puisait directement ses sources du judéo-christianisme. Jusqu'à cette phrase détournée de l'Evangile : "Aimez-vous les uns sur les autres." (!!) "Le sexe était le messager de la promesse. Et la promesse, c'était la fin des barrières entre les hommes, la fin de la haine, l'avènement d'un langage universel." Cette révolution désirante sera ensuite théorisée par Foucault, Deleuze, Guattari...
Mais cette drôle de révolution avait sa face cachée : le discours normatif, la pression du groupe, les culpabilisations perverses... Peu à peu s'établit ce que Pascal Bruckner et Alain Finkielkraut ont appelé "la dictature de l'orgasme obligatoire, l'idée que les hommes et les femmes doivent jouir de la même façon. Il faut prouver qu'on est à la hauteur. L'érotisme entre dans le domaine de la prouesse. [...] Le sexe devient contrainte et exploit." L'interdit porte désormais sur le sentiment amoureux et sur la séduction, considérés comme des survivances du vieux monde. Le couple était considéré comme un assemblage archaïque, ou "une forme transitoire, que l'on empruntait pour aller vers la polygamie ou la polyandrie que l'on souhaitaient plus durables. A l'époque, il y avait un véritable terrorisme anticonjugal."
Quant aux enfants, ils "devaient être élevés à l'inverse de l'éducation reçue par leurs parents, c'est-à-dire dans l'éloge de leur désir. Certains parents allaient jusqu'à faire l'amour devant eux. [...] Partout, on affirmait que l'enfant est déjà un être sexué. La pédophilie n'était pas admise, mais elle comptait un certain nombre de défenseurs."
Les femmes ont alors commencé à ne plus se reconnaître dans cette "accélération de la consommation sexuelle". Elles "ne souhaitaient pas devenir des objets manipulables à volonté par des hommes en chaleur, mais voulaient de nouveaux droits : l'avortement, la contraception, le respect de leur propre désir et la reconnaissance de leur jouissance spécifique... La question du consentement à l'acte sexuel était posée, comme elle le reste aujourd'hui. Une partie du mouvement féministe s'est ainsi dressée contre la masculinité ; une autre, accomodante, a tenté d'inventer des rapports plus harmonieux entre les hommes et les femmes."
Et puis, on a enfin osé revaloriser à nouveau le sentiment : c'est comme une deuxième libération, entamée par des intellectuels comme Roland Barthes (Fragments d'un discours amoureux), Michel Foucault (Histoire de la sexualité), Alain Finkielkraut et Pascal Bruckner (Le Nouveau Désordre amoureux). Ils ont voulu "faire comprendre que la notion de révolution sexuelle n'avait aucun sens, que l'amour n'était pas réformable, qu'il n'y avait pas de progrès en amour." On pouvait à la fois vivre toutes les lubies de son corps et aimer comme autrefois.

Malgré les excès, les débordements et les dogmatismes de la révolution sexuelle, le bilan reste positif. Les femmes y ont gagné des droits indéniables. Depuis 1970, le père et la mère se partagent à égalité le statut de chef de famille (si cela était appliqué au Maghreb, ce serait une révolution ! on comprend bien pourquoi il s'agit vraiment d'une "révolution" dans l'histoire de l'amour...). Mais les libertés acquises ont un prix : la responsabilité et la solitude. Nous nous retrouvons seuls devant le gouffre de nos propres choix. "Le couple doit désormais se soumettre à un examen constant de ses propres règles. Résultat, la sexualité est peut-être plus libre, mais elle est devenue anxieuse d'elle-même. Sommes-nous de bons parents ? De bons époux ? De bons amants ? L'individu moderne est contraint en permanence de s'inventer et de s'évaluer."

C'est la fin (provisoire) de notre longue histoire... Et pour donner mon sentiment personnel, je peux dire que malgré cette forte responsabilité et cette angoisse, je suis bien heureuse de vivre à notre époque. Je suis trop attachée à l'idée d'autonomie, de liberté (dans le sens existentiel, de Sartre : on se définit par ce que l'on fait, mais il faut bien pouvoir faire ce que l'on veut !). Comment auraient été nos vies amoureuses si elles nous étaient dictées par l'Eglise, l'Etat, le milieu, les coutumes...? Mais il faut bien reconnaître aussi que nous avons bien de la chance de vivre dans cette partie du monde aujourd'hui...

15.6.06

Trois ans ensemble

Il y a trois ans, dans le parc des Buttes-Chaumont à Paris, naissait une belle histoire d'amour... Une rencontre qui se fit grâce à un concours de circonstances assez exceptionnel : un stage de programmation à Images d'Ailleurs, premier espace de cinéma "black" de Paris, avec Nathalie, une amie aux mêmes goûts cinéphiliques que moi ; la rencontre d'un ami camerounais ayant fait ses études en Grèce - et ayant habité tout près de chez moi à Athènes ! - ; la demande de cet ami, deux années plus tard, de filmer son mariage ; enfin, ma rencontre de Collin, réquisitionné à la dernière minute pour faire le chauffeur lors de ce mariage.
Chaque couple vit le passage du temps de sa propre manière ; après trois ans, on constate forcément quelles sont les avancées de chacun, que nous avons partagées au quotidien. Et on réalise le bout de chemin fait ensemble. En juin 2003, je venais de terminer ma licence de cinéma ; je cherchais obstinément un petit boulot pour l'été (mon premier en France), que je ne trouvais pas. Collin, lui, terminait sa maîtrise d'électronique et informatique industrielle et préparait sa soutenance. Il allait passer l'été en travaillant en intérim en tant qu'électricien, sur des chantiers... notamment, au stade de France. Depuis, j'ai effectué plusieurs petits boulots, plus un tournage et un stage, et j'ai soutenu ma maîtrise de cinéma et audiovisuel, préparée en deux ans avec maintes difficultés et interruptions. Depuis, il a passé son D.E.S.S., a poursuivi avec un stage de longue durée en entreprise, l'alternant avec un boulot de vendeur à Bricorama, avant de finalement trouver son premier emploi d'administrateur réseaux, qu'il commence lundi chez France Télécom. Depuis, nous nous sommes installés ensemble et avons pu apprécier les joies de la vie commune et de la compagnie partagée au quotidien (avec parfois quelques tensions qui permettent de mettre les points sur les i et finalement sont très utiles pour consolider le couple !). Aujourd'hui je ne peux plus concevoir ma vie autrement qu'avec lui...
Parmi nos meilleurs souvenirs, les week-ends d'escapades entre amis ou en couple, en Normandie de Saint-Valéry-en-Caux à Etretat, dans le Loiret en dormant dans la forêt de Montargis, en visitant le château de Chambord et en rentrant par Orléans, à nouveau en Normandie de Honfleur à Cabourg en revenant par Lisieux, à Toulon, à Châlons-en-Champagne, à Centers Park Normandie, à Zürich. Mais il reste encore de nombreux projets en attente d'être réalisés un jour...


(photo : Nuno)

La plus belle histoire de l'amour : les années folles

Les années folles : désormais, il faut plaire !
(par Anne-Marie Sohn)

A l'aube du XXe siècle s'amorce une révolution des moeurs qui va lentement mûrir jusqu'aux années 1960. Il faudra presque cent ans, marqués de surcroît par les deux guerres mondiales, pour que se développe ce courant de libération, provoquant une véritable rupture éthique dans l'histoire des rapports entre hommes et femmes.
La première grande mutation, c'est la fin du mariage arrangé, effective vers 1920. Sans surprise, elle a lieu d'abord dans les milieux populaires. "Les femmes s'emparent petit à petit du pouvoir de dire "non". L'exode rural et le salariat, en donnant à chacun la possibilité de disposer de ses propres revenus, rendent les jeunes gens plus autonomes [...]. Ils cherchent naturellement à être heureux." L'idée novatrice que pour être heureux, il faut vivre avec quelqu'un que l'on a choisi, remonte les classes sociales, jusqu'aux bourgeois : "on affirme désormais que les relations matrimoniales doivent être d'abord fondées sur un sentiment réciproque. L'amour devient le ciment du couple. Le mariage de convenance paraît alors honteux."
On cultive alors l'amour avec fierté : les lettres d'amour sont très abondantes au début du siècle dans les milieux populaires. "Entre 1900 et 1939, on s'envoie aussi énormément de cartes postales amoureuses, qui représentent généralement un couple dans un décor bucolique." (la carte postale que j'ai choisie pour illustrer cet article s'inscrit plutôt dans le contexte de la guerre de 1914-18 !). Les films et les romans expriment aussi cette soif d'amour : "aimer pour bien vivre".
Mais les nécessités sociales ne disparaissent pas pour autant et restreignent la liberté de choix. "On fait connaissance au travail, à l'usine, au champ, au mariage de la cousine - un grand classique - ou dans les fêtes du village, c'est-à-dire dans le même milieu social." Les jeunes filles ont plus de latitude que les jeunes hommes et, grâce à l'importance de la séduction, elles peuvent espérer aimer en dehors de leur milieu social. Par exemple, les ouvrières peuvent parvenir à se marier avec un homme de la petite bourgeoisie.
Le flirt profite de la multiplication des lieux de loisirs. "Dès 1900, les cafetiers ouvrent des bals dans leur arrière-salle tous les dimanches. Au début, il y aura un violoneux. Puis, ce sera le phono, le dancing, le cinéma, et après la Seconde Guerre mondiale, les boîtes et les surprises-parties. [...] Savoir danser devient le passeport indispensable de l'amour." Petit à petit, les jeunes gens non mariés acquièrent la liberté de se promener ensemble, de se montrer.
L'autre grande transformation du moment est l'élasticité de la morale sexuelle, dès l'entre-deux-guerres. Malgré la position toujours stricte de l'Eglise, "un nombre croissant de catholiques affirment que l'amour et le plaisir sont indissociables." Ce changement de la morale sexuelle se traduit d'abord dans le langage, par l'utilisation des termes précis pour nommer les parties du corps et non plus d'euphémismes. Avec le langage, les consciences se libèrent aussi, et les pratiques sexuelles sont déculpabilisées.
Mais attention, on ne parle pas encore de sexualité aux adolescents : "le silence prévaut dans les familles jusque dans les années 1960." La seule éducation amoureuse est négative et conseille la méfiance à l'égard du sexe opposé. Les adolescents doivent donc glaner des informations là où ils peuvent, dans les livres. Il subsiste une différence entre les jeunes hommes, incités à se déniaiser dans une maison close ou avec une fille "facile" avant le mariage, et les jeunes filles, qui veulent avoir l'assurance d'être épousées pour traduire leur amour en sexualité (dans la bourgeoisie, on reste attaché à la virginité féminine). Cela dit, si un garçon met une fille enceinte, il doit l'épouser, sinon il est unanimement condamné.
Au fil des années, se développe l'idée que l'amour et la sexualité vont ensemble, et les liaisons avant le mariage augmentent de manière impressionnante : un cinquième des filles ont des relations prénuptiales à la Belle Epoque, un tiers pendant l'entre-deux-guerres, la moité dans les années 1950. "Les relations à l'intérieur du couple sont un peu plus égalitaires, et plus douces, même si les femmes ont en charge les tâches ménagères et beaucoup de tâches éducatives." (Mais l'affirmation du sentiment amoureux aboutit parfois aussi à des formes nouvelles de domination masculine, à des manipulations affectives telle la jalousie tyrannique exercée par certains maris.)
Dans l'entre-deux-guerres, les caresses se généralisent, ainsi que le baiser sur la bouche, symbole de la passion qui jusque-là avait été jugé scandaleux, même en privé (On peut être surpris que cela soit si tardif !). Le sentiment amoureux est à l'avant-garde de l'expression des autres sentiments : "maintenant, on se met à embrasser les enfants, ce qu'on ne faisait pas auparavant. Les enfants expriment eux aussi leur amour, font des câlins aux parents..." Au niveau de la sexualité, les préliminaires et la sexualité buccale se développent, de pair avec le progrès de l'hygiène intime : "le long mouvement de découverte du corps s'engage". Les femmes ne vont pas jusqu'à se montrer nues, elles gardent une ancienne pudeur, mais leurs corps vont commencer à se dévoiler avec les juppes courtes et les maillots de bains à partir des années 30...

L'idéal qui se dessine à l'époque est donc de réunir le mariage, le sentiment et le plaisir. Ajoutez-y les enfants et le travail, ce n'est pas très facile d'y parvenir ! Les couples fondés sur l'amour se brisent plus facilement qu'avant : lassitude, adultère - notamment, pendant les deux guerres...
Les années qui suivirent 1945 sont comparables aux Années folles, marquées par une vague d'émancipation amoureuse et sexuelle. Quelques films font scandale : Les Tricheurs de Marcel Carné, Bonjour tristesse de Françoise Sagan, Le Blé en herbe de Claude Autant-Lara, Les Amants de Louis Malle (photo). "L'optimisme retrouvé, le désir d'être heureux, l'appétit de vivre profitent à l'amour. [...] L'hédonisme s'introduit dans les couples légitimes. Le baby boom en sera un effet." Jusqu'à l'arrivée de la pilule et de la révolution sexuelle...

A suivre... (la révolution sexuelle)

13.6.06

La plus belle histoire de l'amour : le XIXe siècle

Je viens de terminer la lecture de La plus belle histoire de l'amour, du coup j'ai pris un peu de retard sur les petites synthèses et citations que je vous propose. Ce n'est pas toujours évident de trouver le temps, alors que les trajets en métro restent, eux, obligatoires et un peu de lecture les habille agréablement...
Après avoir donc évoqué l'amour à l'époque de l'Ancien Régime puis de la Révolution, voyons aujourd'hui quelle a été sa place au XIXe siècle.

Le XIXe siècle : le temps des oies blanches et des bordels (par Alain Corbin)
Après la froide parenthèse révolutionnaire, le XIXe siècle s'ouvre dans un soupir romantique, comme si le sentiment amoureux, si longtemps réprimé, devenait une priorité. Le thème de l'amour romantique est omniprésent dans les romans (Chateaubriand, Lamartine), mais il se glisse aussi dans les manuels de savoir-vivre et même dans la littérature pieuse. Le XIXe siècle est le grand siècle de la confession, de l'introspection, du journal intime. Mais attention, cet amour reste dans l'évocation et la distance, il "ne se dit que lorsqu'il y a manque, obstacle, éloignement, souffrance ; l'historien trouve peu de traces du bonheur."

En dépit de ce discours romantique, le mariage reste organisé par la contrainte sociale : "il existe un véritable marché matrimonial." "Dans l'ordre du désir, la correspondance de Flaubert le montre : on décèle une étonnante tension entre les postures angéliques du romantisme et les pratiques masculines qui se caractérisent par les exploits du bordel. C'est le temps des oies blanches et des maisons closes. On ne vit pas et on ne dit pas la sexualité de la même manière, selon que l'on est homme ou femme."
En effet, l'imaginaire féminin est centré sur la pudeur. "Un système de convenances et de rites précis s'élabore pour codifier la vie privée et dissimuler le corps féminin. [...] Le corps est caché, corseté, protégé par des noeuds, des agrafes, des boutons... La pudeur obsédante, la complication raffinée des vêtements ont évidemment des effets pervers : elles suscitent un érotisme diffus [...]."
Quant au monde masculin, il est celui "des pratiques vénales et d'une double morale permanente : le même jeune homme, qui identifie la jeune fille à la pureté et fait sa cour selon le rituel classique, connaît des expériences sexuelles multiples avec des prostituées, des cousettes (les ouvrières à l'aiguille dans les grandes villes) ou une "grisette", jeune fille facile qu'il abandonnera pour épouser une héritière de bonne famille." Il y a donc, pour les hommes, deux types de femmes : l'ange et la garce. Une vraie dualité aussi dans la représentation du corps féminin, à la fois idéalisé et dégradé.
Quelle peut alors être la sexualité de ces deux espèces si différentes ? La distinction entre classes bourgeoises et campagnes persiste.
"Chez les bourgeois, la nuit de noces est une épreuve. C'est le rude moment de l'initiation féminine par un mari qui a connu une sexualité vénale. D'où la pratique ascendante du voyage de noces, en vue d'épargner à l'entourage familial un moment aussi gênant..." Le lit conjugal est l'autel où l'on célèbre l'acte sacré de la reproduction ; tout le reste est prohibé, donc, peu de place pour le plaisir. Alors, les maris frustrés se soulagent dans les maisons closes de quartiers, qui sont tolérées à partir du Consulat.
Dans les campagnes, dès les premières années de la monarchie de Juillet, le discours de l'amour romantique se popularise. Les jeunes couples vivent leurs amours avec plus de liberté et d'honnêteté. Le sentiment s'exprime peu par le langage, mais plutôt par le geste : on se caresse, on se touche, on se courtise. Dans certaines régions, comme en Corse ou au Pays Basque, on pratique une forme de concubinage ou de mariage à l'essai.
Quant au rôle de l'Eglise, c'est l'époque où l'usage du confessionnal se généralise. "Le prêtre a pour mission de veiller à la pureté de la jeune fille et à la fidélité de l'épouse. Mais il ne s'attarde pas trop sur les frasques des messieurs, d'autant que les garçons cessent généralement d'aller se confesser après leur première communion. Le clergé exerce alors un véritable tribunal des consciences féminines, et condamne sévèrement les fêtes et les jeux qui se prêtent à la luxure : bals, "pardons" bretons, veillées, repas de noces..." Entre 1815 et 1850, l'Eglise avait commencé à fermer les yeux sur une sexualité conjugale dont le but n'était pas forcément réduit à la procréation ; mais en 1851, Rome condamne toute forme de coopération de la femme dont l'époux pratique l'onanisme.
Une grande nouveauté de l'époque, c'est que la science se mêle de la sexualité. Pour les médecins, "il convient d'éviter de stimuler la curiosité des femmes, de circonscrire [...] ce qui leur est licite de lire ou de regarder". Ils "dénoncent toutes les pratiques déviantes qualifiées d' "antiphysiques" : sodomie, bestialité, pédérastie." Les homosexuels ne sont plus des pécheurs mais des malades, qu'il convient donc de soigner. Les médecins craignent également les méfaits des caresses entre époux qu'ils qualifient de "fraudes conjugales". Quant à la masturbation, elle suscite l'effroi, et "conduit, selon les médecins, à une perte d'énergie, à un lent dépérissement, voire à la mort. En outre, elle s'accompagne d'une dangereuse surchauffe de l'imagination". (Imaginez les gynécologues ou sexologues nous faire aujourd'hui ce genre de remarques !...)

Dans le domaine de la vie privée, un autre siècle s'amorce à partir de 1860, comme si l'on commençait timidement à tourner la vieille page de la répression. Le code romantique commence à se dégrader, comme le montre Madame Bovary, ce roman de Flaubert qui porte en lui une remise en cause de l'imaginaire romantique. Parallèlement se développe l'anticléricalisme : on accuse les confesseurs d'être trop curieux, de se mêler de secrets trop intimes."L'image du prêtre séducteur, pervers, troublé par l'impudeur de l'aveu des femmes, se popularise. Les maris le voient comme un concurrent susceptible de leur voler leur propriété."
Le divorce, adopté en 1792 par les révolutionnaires puis supprimé en 1816, est rétabli en 1884. L'adultère est très présent dans le roman et le vaudeville, mais demeure pourtant un délit en droit. Se développe alors une pratique inédite entre les jeunes gens : le flirt. Les femmes y trouvent une nouvelle forme de liberté, "à mi-chemin entre l'oie blanche et la jeune fille libérée. [...] Ce nouvel érotisme diffuse plus de douceur. La sexualité conjugale en est changée, et le plaisir féminin commence à se dire. Quelques docteurs audacieux conseillent aux maris d'user de plus de tendresse. Le couple conjugal s'érotise." Un détail intéressant : le jeune homme introduit dans le lit conjugal des raffinements appris auprès des prostituées.
A la fin du XIXe siècle se dessine donc un couple plus uni : une femme plus avertie, un homme plus soucieux de sa partenaire. Une sexualité plus sensuelle apparaît entre époux.

A suivre... (Les années folles)

7.6.06

Un an et huit mois à l'Argus de la presse

Le 7 octobre 2004, j'entamai un CDI à temps partiel à l'Argus de la presse, au service des "R. A." (pour rédaction d'alertes). Un petit boulot intéressant, avec des horaires pratiques et maléables, idéal quand on a besoin d'un petit salaire fixe et de temps à côté pour rédiger un mémoire.
Le travail consiste, tout simplement, à lire des articles et à rédiger de petites synthèses sur ordinateur. Les articles proviennent pour une grande majorité de la presse régionale, mais aussi de revues hebdomadaires et mensuelles, comme Le Nouvel Observateur, Sciences et avenir, Management, Challenges, Capital, Femme actuelle, Gala... Les synthèses sont alors envoyées sous forme d' "alertes" aux clients, qui peuvent ainsi mesurer l'impact médiatique de leur société (et de leurs concurrents). Les clients de l'Argus sont très diversifiés, il y a des institutions culturelles, des industriels en tout genre, des grandes marques de vêtements et de voitures, des groupes professionnels comme les huissiers, les artisans ou les peintres en bâtiment, des produits aussi différents que les insecticides, les appareils électroménagers, les vins, les cosmétiques...
Au début, ce boulot m'a permis d'élargir ma culture générale, de m'intéresser à des choses auxquelles je n'avais jamais eu l'occasion de m'intéresser avant. Il m'a également donné un aperçu des pratiques rédactionnelles des journaux et revues (parfois on tombe sur des phrases qui ne veulent rien dire, ou sur de très grosses fautes de français !). Avec le temps, j'ai pris quelques habitudes et finalement c'est devenu assez répétitif une fois que j'avais mémorisé les demandes de chaque client. Je ne trouve plus que 5 articles maximum qui m'intéressent, par journée de travail de 4 heures.
En un an et huit mois, j'en ai vu défiler des têtes, et j'ai assisté à tous les bouleversements de mon service. J'ai vu la transition des coupures en papier au logiciel tout numérique (articles scannés), l'élargissement de 6 postes à 11 postes de travail, la modification du système de primes, et puis le départ de la responsable en congé maternité, remplacée par les trois coordinateurs/trices qui sont devenus petit à petit les vrais responsables du service.
Finalement, je suis devenue l'une des plus anciennes... peut-être serait-il temps que je me retire bientôt ?

(Illustrateur : Savignac)

Ce petit bonhomme veille discrètement sur mes collègues et moi, au bureau...