La plus belle histoire de l'amour : le monde romain
Le monde romain : L'invention du couple puritain (par Paul Veyne)
Sur les murs de Pompéi subsistent encore des peintures, datant du 1er siècle av. J.-C., représentant des époux romains qui, comme des instantanés, s'efforcent de donner du couple une image idéale. Dans le monde de l'aristocratie antique, le couple modèle parfait "l'idée du mariage : donner à la cité, à la patrie, de bons citoyens et des chefs qui perpétueront l'ordre social et la lignée". "Le mariage est un devoir citoyen, et il est de bon ton que les époux s'entendent. Dans leur représentation sur les sarcophages, ils se tiennent toujours la main, comme pour suggérer une entente égalitaire."
Mais la réalité est toute autre que l'image idéalisée : "Ce monde romain-là est celui de l'esclavage. L'épouse n'est qu'une petite créature. On la bat à l'occasion. Si on la ménage, c'est à cause de sa dot ou de son noble père. Elle fait des enfants et arrondit le patrimoine. Elle n'est qu'un outil du métier de citoyen, un élément de la maison, comme le sont les fils, les affranchis, les clients et, tout en bas de l'échelle, les esclaves." Charmant ! Pire : il est admis que le mari peut avoir ses petites esclaves et ses petits esclaves en toute légalité, ils sont "là pour cela" (dans ce cadre, l'homosexualité est admise).
L'option alternative au mariage est le concubinat, parfaitement reconnu. La différence, c'est que les enfants ne sont pas légitimes, ils n'héritent pas. "Si bien que la grande question est celle-là : est-ce que je reste à mon harem d'esclaves ou à mon affranchie favorite ? Ou est-ce que je me marie, en homme sérieux, pour donner à l'Etat des citoyens de plein droit ?".
Le mariage est donc avant tout un devoir civique, quasi militaire : on se marie pour bénéficier d'une dot, moyen honorable de s'enrichir, et pour donner des citoyens à la patrie. En même temps, aucun pouvoir public ne contrôle le mariage, ni maire, ni curé, et on divorce de la même manière : quand on en a envie. La femme elle-même divorce quand elle veut et, il arrive ainsi que le mari ne sache même pas s'il est encore marié ou divorcé (!).
Quant au sort de la femme seule, célibataire ou divorcée, elle est souvent entretenue par l'homme qui établit une liaison avec elle. Il convient qu'il l'aide à vivre et lui accorde une pension. La femme est même en droit de réclamer devant la justice cette pension ! Le statut de la femme entretenue est tout à fait légitime !
Et puis, être veuve est un statut idéal, parce que la femme veuve a une liberté de moeurs absolue, elle administre ses biens elle-même et choisit son régisseur dont elle est généralement la maîtresse. Du coup, la veuve riche est assiégée par de véritables "chasseurs", qui trouvent ce moyen pour amasser une fortune.
Dans ce contexte, la sexualité est conçue d'une manière militaire. La nuit de noces est un viol légal, le jeune époux ne déflore pas sa femme dès la première nuit, il la sodomise. Rome étant une société militariste, l'homme doit être un "vrai chef", même au lit ! "Le monde romain est un monde mahométan avant l'heure, il est puritain". Il y avait une vraie censure des moeurs : on ne fait l'amour que la nuit, sans allumer de lampes. Toutes les statues nues, nobles, distinguées et sensuelles, montrent à quel point l'imaginaire des Romains est différent des conduites réelles et du discours officiel, très machistes. Inutile d'évoquer le plaisir féminin : il est "un gouffre d'hystérie", tandis que le plaisir masculin est une faiblesse que l'on tait.
Le monde romain est donc plein de contradictions : d'un côté, la femme est idéalisée à l'intérieur du mariage ; le divorce est plus égalitaire encore que dans notre droit moderne ; de l'autre, il y a ce mépris absolu des hommes pour tous les inférieurs, dont les femmes.
Et puis, un changement mystérieux intervient peu avant l'an 200, au temps de Marc Aurèle : on se met à interdire les mauvaises moeurs. Hostilité à l'avortement, à l'exposition des enfants (courante et quasi officielle avant), à l'homosexualité. L'entente dans le mariage devient un contrat mutuel, l'adultère du mari est considéré comme aussi grave que celui de la femme. Les époux doivent ne faire l'amour que pour procréer. Ce sont donc les Romains, encore païens, qui ont inventé la morale conjugale et le couple puritain, bien avant les Chrétiens. "Ceux-ci se sont contentés d'adopter et de durcir la nouvelle morale païenne, le stoïcisme de Marc Aurèle, en y ajoutant par ascétisme leur propre haine du plaisir. [...] Dire que le christiannisme est le fondement de notre morale est dépourvu de sens." On en fait des découvertes incroyables...
A suivre... (le Moyen Age)
Sur les murs de Pompéi subsistent encore des peintures, datant du 1er siècle av. J.-C., représentant des époux romains qui, comme des instantanés, s'efforcent de donner du couple une image idéale. Dans le monde de l'aristocratie antique, le couple modèle parfait "l'idée du mariage : donner à la cité, à la patrie, de bons citoyens et des chefs qui perpétueront l'ordre social et la lignée". "Le mariage est un devoir citoyen, et il est de bon ton que les époux s'entendent. Dans leur représentation sur les sarcophages, ils se tiennent toujours la main, comme pour suggérer une entente égalitaire."
Mais la réalité est toute autre que l'image idéalisée : "Ce monde romain-là est celui de l'esclavage. L'épouse n'est qu'une petite créature. On la bat à l'occasion. Si on la ménage, c'est à cause de sa dot ou de son noble père. Elle fait des enfants et arrondit le patrimoine. Elle n'est qu'un outil du métier de citoyen, un élément de la maison, comme le sont les fils, les affranchis, les clients et, tout en bas de l'échelle, les esclaves." Charmant ! Pire : il est admis que le mari peut avoir ses petites esclaves et ses petits esclaves en toute légalité, ils sont "là pour cela" (dans ce cadre, l'homosexualité est admise).
L'option alternative au mariage est le concubinat, parfaitement reconnu. La différence, c'est que les enfants ne sont pas légitimes, ils n'héritent pas. "Si bien que la grande question est celle-là : est-ce que je reste à mon harem d'esclaves ou à mon affranchie favorite ? Ou est-ce que je me marie, en homme sérieux, pour donner à l'Etat des citoyens de plein droit ?".
Le mariage est donc avant tout un devoir civique, quasi militaire : on se marie pour bénéficier d'une dot, moyen honorable de s'enrichir, et pour donner des citoyens à la patrie. En même temps, aucun pouvoir public ne contrôle le mariage, ni maire, ni curé, et on divorce de la même manière : quand on en a envie. La femme elle-même divorce quand elle veut et, il arrive ainsi que le mari ne sache même pas s'il est encore marié ou divorcé (!).
Quant au sort de la femme seule, célibataire ou divorcée, elle est souvent entretenue par l'homme qui établit une liaison avec elle. Il convient qu'il l'aide à vivre et lui accorde une pension. La femme est même en droit de réclamer devant la justice cette pension ! Le statut de la femme entretenue est tout à fait légitime !
Et puis, être veuve est un statut idéal, parce que la femme veuve a une liberté de moeurs absolue, elle administre ses biens elle-même et choisit son régisseur dont elle est généralement la maîtresse. Du coup, la veuve riche est assiégée par de véritables "chasseurs", qui trouvent ce moyen pour amasser une fortune.
Dans ce contexte, la sexualité est conçue d'une manière militaire. La nuit de noces est un viol légal, le jeune époux ne déflore pas sa femme dès la première nuit, il la sodomise. Rome étant une société militariste, l'homme doit être un "vrai chef", même au lit ! "Le monde romain est un monde mahométan avant l'heure, il est puritain". Il y avait une vraie censure des moeurs : on ne fait l'amour que la nuit, sans allumer de lampes. Toutes les statues nues, nobles, distinguées et sensuelles, montrent à quel point l'imaginaire des Romains est différent des conduites réelles et du discours officiel, très machistes. Inutile d'évoquer le plaisir féminin : il est "un gouffre d'hystérie", tandis que le plaisir masculin est une faiblesse que l'on tait.
Le monde romain est donc plein de contradictions : d'un côté, la femme est idéalisée à l'intérieur du mariage ; le divorce est plus égalitaire encore que dans notre droit moderne ; de l'autre, il y a ce mépris absolu des hommes pour tous les inférieurs, dont les femmes.
Et puis, un changement mystérieux intervient peu avant l'an 200, au temps de Marc Aurèle : on se met à interdire les mauvaises moeurs. Hostilité à l'avortement, à l'exposition des enfants (courante et quasi officielle avant), à l'homosexualité. L'entente dans le mariage devient un contrat mutuel, l'adultère du mari est considéré comme aussi grave que celui de la femme. Les époux doivent ne faire l'amour que pour procréer. Ce sont donc les Romains, encore païens, qui ont inventé la morale conjugale et le couple puritain, bien avant les Chrétiens. "Ceux-ci se sont contentés d'adopter et de durcir la nouvelle morale païenne, le stoïcisme de Marc Aurèle, en y ajoutant par ascétisme leur propre haine du plaisir. [...] Dire que le christiannisme est le fondement de notre morale est dépourvu de sens." On en fait des découvertes incroyables...
A suivre... (le Moyen Age)
3 commentaires:
Très intéressant d'étudier la notion du couple à travers les différentes grandes époques de l'histoire. Ca nous permet parfois de mieux comprendre nos sociétés actuelles!
J'aimerais arriver au bout de mon entreprise, mais malheureusement, j'ai du mal à continuer à rendre compte du livre au même rythme que la lecture... parce qu'ici à Athènes, je suis en bas débit et sur clavier Qwerty. Alors, j'opterai peut-être pour une solution beaucoup plus synthétique à mon retour. On verra...
Sympa cette note d'histoire, surtout que je suis en ce moment même en Italie et que nous avons fait un tour à Pompéi!! Je m'imagine alors la vie quotidiennt des couples dans cette ville antique!!!
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