3.7.08

La Soledad

La Soledad, le film espagnol de Jaime Rosales ayant remporté 3 Goya (dont celui du meilleur film et celui du meilleur réalisateur), raconte la vie de deux femmes, Adela et Antonia, et de personnages secondaires qui gravitent autour d'elles pour les influencer ou les soutenir. Elles ne se croisent jamais dans le film, leur seul lien est Inès, colocataire d'Adela et fille d'Antonia. Leur point commun, c'est qu'elles sont toutes deux amenées à faire un choix décisif à un moment de leur vie.
Le choix d'Adela : quitter sa petite ville de province, où elle vit avec son bébé, entourée de son père et du père de son bébé (avec qui elle n'est plus), pour commencer une nouvelle vie à Madrid. Elle trouve facilement un travail et un appartement qu'elle partage avec deux colocataires sympathiques. C'est alors qu'un attentat terroriste brise sa vie, en prenant celle de son bébé. Le sentiment de culpabilité la fait revenir sur sa décision première : et si elle n'était pas partie à Madrid ?
Antonia, propriétaire d'un petit supermarché à Madrid, mène une vie tranquille, entourée de son compagnon et de ses trois filles. Alors qu'elle accompagne l'une de ses filles à travers une opération douloureuse pour soigner un cancer, sa fille aînée lui demande de l'argent pour s'acheter une maison de campagne. Elle décide alors de vendre son appartement de Madrid pour cohabiter avec son compagnon : une décision qui va mettre le désordre dans l'harmonie familiale, en créant la discorde entre ses filles.

Le film est très original par sa forme, ses choix esthétiques, qui soutiennent le scénario - dans lequel les dialogues jouent un rôle prédominant sur toute action. Il propose une nouvelle approche esthétique autour de l'espace et du temps.
D'abord, la composition des plans : dans les très nombreuses séquences d'intérieur, murs, portes, fenêtres et objets segmentent et structurent l'espace. Le réalisateur joue avec la profondeur de champ mais aussi le hors-champ, en positionnant souvent sa caméra à l'ouverture des portes. Ajoutez à cela, l'intéressante utilisation du split-screen, pas systématique mais en alternance avec des plans "entiers". Ce format de vision occupe environ un tiers du film. Souvent, les deux visions proposées par le split-screen offrent deux angles de la caméra diamétralement opposés dans la même pièce. Il divise totalement l'espace et induit une perte de repères pour le spectateur. Une autre utilisation, assez intéressante, est de filmer les dialogues de 2 personnages avec 2 gros plans juxtaposés, l'un de face (donc presque en regard caméra) et l'autre de profil (à la perpendiculaire). Cette méthode est utilisée dans des séquences où les personnages rencontrent des difficultés de communication : l'écran divisé transcrit cette différence de points de vue. Le réalisateur explique : "Chaque partie correspond à un point de vue différent sur une même scène. Derrière ce procédé et les règles que nous lui avons appliquées il y a l'idée de créer un code dont la fonction est d'apporter une perception distincte à celle induite par un format classique. Le défi et la difficulté ont été d'obtenir une certaine distanciation et une rupture vis-à-vis de la lecture habituelle sans que cette rupture ne soit un frein à l'émotion".

Ensuite, la durée. Les séquences d'intérieur sont très longues, les discussions se font autour de la cuisine, du repassage, du repas ou d'une partie de cartes. De manière anodine, naturelle, des tensions se font et se défont entre les personnages. Les liens familiaux, amicaux et amoureux sont illustrés dans toutes leurs variations, de la complicité, du chagrin, de la jalousie, de la rancoeur... Mais il y aussi les moments de solitude ("La Soledad"...), qui prennent aussi un certain temps. Ces moments correspondent à des séquences où Antonia ou Adela sont réellement seules, que ce soit sur un banc, au travail ou après la douche. Ce sont souvent des moments d'absence, de "non-dialogue" où le spectateur sent une certaine émotion à se retrouver seul avec le personnage et à deviner ses réflexions intérieures.
Au cours du film, des événements plus ou moins marquants vont affecter Adela et Antonia et les mener de la joie à la tristesse (pour faire bref). La mort fait son irruption, bruyante et violente pour l'une, silencieuse et solitaire pour l'autre. Mais toujours au moment le plus anodin de la vie quotidienne. Ce que réussit Jaime Rosales, c'est justement de prendre des moments de la vie quotidienne et d'en proposer une nouvelle perception. D'habitude, les films qui portent sur le réel ont tendance à effacer le regard de la caméra, à réduire les effets esthétiques pour donner entière place au sujet. Ici, le réel est transcendé par son regard (ou ses regards). Le sens du film naît de son esthétique.

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