La plus belle histoire de l'amour : les années folles
Les années folles : désormais, il faut plaire !
(par Anne-Marie Sohn)
A l'aube du XXe siècle s'amorce une révolution des moeurs qui va lentement mûrir jusqu'aux années 1960. Il faudra presque cent ans, marqués de surcroît par les deux guerres mondiales, pour que se développe ce courant de libération, provoquant une véritable rupture éthique dans l'histoire des rapports entre hommes et femmes.
La première grande mutation, c'est la fin du mariage arrangé, effective vers 1920. Sans surprise, elle a lieu d'abord dans les milieux populaires. "Les femmes s'emparent petit à petit du pouvoir de dire "non". L'exode rural et le salariat, en donnant à chacun la possibilité de disposer de ses propres revenus, rendent les jeunes gens plus autonomes [...]. Ils cherchent naturellement à être heureux." L'idée novatrice que pour être heureux, il faut vivre avec quelqu'un que l'on a choisi, remonte les classes sociales, jusqu'aux bourgeois : "on affirme désormais que les relations matrimoniales doivent être d'abord fondées sur un sentiment réciproque. L'amour devient le ciment du couple. Le mariage de convenance paraît alors honteux."
On cultive alors l'amour avec fierté : les lettres d'amour sont très abondantes au début du siècle dans les milieux populaires. "Entre 1900 et 1939, on s'envoie aussi énormément de cartes postales amoureuses, qui représentent généralement un couple dans un décor bucolique." (la carte postale que j'ai choisie pour illustrer cet article s'inscrit plutôt dans le contexte de la guerre de 1914-18 !). Les films et les romans expriment aussi cette soif d'amour : "aimer pour bien vivre".
Mais les nécessités sociales ne disparaissent pas pour autant et restreignent la liberté de choix. "On fait connaissance au travail, à l'usine, au champ, au mariage de la cousine - un grand classique - ou dans les fêtes du village, c'est-à-dire dans le même milieu social." Les jeunes filles ont plus de latitude que les jeunes hommes et, grâce à l'importance de la séduction, elles peuvent espérer aimer en dehors de leur milieu social. Par exemple, les ouvrières peuvent parvenir à se marier avec un homme de la petite bourgeoisie.
Le flirt profite de la multiplication des lieux de loisirs. "Dès 1900, les cafetiers ouvrent des bals dans leur arrière-salle tous les dimanches. Au début, il y aura un violoneux. Puis, ce sera le phono, le dancing, le cinéma, et après la Seconde Guerre mondiale, les boîtes et les surprises-parties. [...] Savoir danser devient le passeport indispensable de l'amour." Petit à petit, les jeunes gens non mariés acquièrent la liberté de se promener ensemble, de se montrer.
L'autre grande transformation du moment est l'élasticité de la morale sexuelle, dès l'entre-deux-guerres. Malgré la position toujours stricte de l'Eglise, "un nombre croissant de catholiques affirment que l'amour et le plaisir sont indissociables." Ce changement de la morale sexuelle se traduit d'abord dans le langage, par l'utilisation des termes précis pour nommer les parties du corps et non plus d'euphémismes. Avec le langage, les consciences se libèrent aussi, et les pratiques sexuelles sont déculpabilisées.
Mais attention, on ne parle pas encore de sexualité aux adolescents : "le silence prévaut dans les familles jusque dans les années 1960." La seule éducation amoureuse est négative et conseille la méfiance à l'égard du sexe opposé. Les adolescents doivent donc glaner des informations là où ils peuvent, dans les livres. Il subsiste une différence entre les jeunes hommes, incités à se déniaiser dans une maison close ou avec une fille "facile" avant le mariage, et les jeunes filles, qui veulent avoir l'assurance d'être épousées pour traduire leur amour en sexualité (dans la bourgeoisie, on reste attaché à la virginité féminine). Cela dit, si un garçon met une fille enceinte, il doit l'épouser, sinon il est unanimement condamné.
Au fil des années, se développe l'idée que l'amour et la sexualité vont ensemble, et les liaisons avant le mariage augmentent de manière impressionnante : un cinquième des filles ont des relations prénuptiales à la Belle Epoque, un tiers pendant l'entre-deux-guerres, la moité dans les années 1950. "Les relations à l'intérieur du couple sont un peu plus égalitaires, et plus douces, même si les femmes ont en charge les tâches ménagères et beaucoup de tâches éducatives." (Mais l'affirmation du sentiment amoureux aboutit parfois aussi à des formes nouvelles de domination masculine, à des manipulations affectives telle la jalousie tyrannique exercée par certains maris.)
Dans l'entre-deux-guerres, les caresses se généralisent, ainsi que le baiser sur la bouche, symbole de la passion qui jusque-là avait été jugé scandaleux, même en privé (On peut être surpris que cela soit si tardif !). Le sentiment amoureux est à l'avant-garde de l'expression des autres sentiments : "maintenant, on se met à embrasser les enfants, ce qu'on ne faisait pas auparavant. Les enfants expriment eux aussi leur amour, font des câlins aux parents..." Au niveau de la sexualité, les préliminaires et la sexualité buccale se développent, de pair avec le progrès de l'hygiène intime : "le long mouvement de découverte du corps s'engage". Les femmes ne vont pas jusqu'à se montrer nues, elles gardent une ancienne pudeur, mais leurs corps vont commencer à se dévoiler avec les juppes courtes et les maillots de bains à partir des années 30...
L'idéal qui se dessine à l'époque est donc de réunir le mariage, le sentiment et le plaisir. Ajoutez-y les enfants et le travail, ce n'est pas très facile d'y parvenir ! Les couples fondés sur l'amour se brisent plus facilement qu'avant : lassitude, adultère - notamment, pendant les deux guerres...
Les années qui suivirent 1945 sont comparables aux Années folles, marquées par une vague d'émancipation amoureuse et sexuelle. Quelques films font scandale : Les Tricheurs de Marcel Carné, Bonjour tristesse de Françoise Sagan, Le Blé en herbe de Claude Autant-Lara, Les Amants de Louis Malle (photo). "L'optimisme retrouvé, le désir d'être heureux, l'appétit de vivre profitent à l'amour. [...] L'hédonisme s'introduit dans les couples légitimes. Le baby boom en sera un effet." Jusqu'à l'arrivée de la pilule et de la révolution sexuelle...
A suivre... (la révolution sexuelle)
(par Anne-Marie Sohn)
A l'aube du XXe siècle s'amorce une révolution des moeurs qui va lentement mûrir jusqu'aux années 1960. Il faudra presque cent ans, marqués de surcroît par les deux guerres mondiales, pour que se développe ce courant de libération, provoquant une véritable rupture éthique dans l'histoire des rapports entre hommes et femmes.
La première grande mutation, c'est la fin du mariage arrangé, effective vers 1920. Sans surprise, elle a lieu d'abord dans les milieux populaires. "Les femmes s'emparent petit à petit du pouvoir de dire "non". L'exode rural et le salariat, en donnant à chacun la possibilité de disposer de ses propres revenus, rendent les jeunes gens plus autonomes [...]. Ils cherchent naturellement à être heureux." L'idée novatrice que pour être heureux, il faut vivre avec quelqu'un que l'on a choisi, remonte les classes sociales, jusqu'aux bourgeois : "on affirme désormais que les relations matrimoniales doivent être d'abord fondées sur un sentiment réciproque. L'amour devient le ciment du couple. Le mariage de convenance paraît alors honteux."
On cultive alors l'amour avec fierté : les lettres d'amour sont très abondantes au début du siècle dans les milieux populaires. "Entre 1900 et 1939, on s'envoie aussi énormément de cartes postales amoureuses, qui représentent généralement un couple dans un décor bucolique." (la carte postale que j'ai choisie pour illustrer cet article s'inscrit plutôt dans le contexte de la guerre de 1914-18 !). Les films et les romans expriment aussi cette soif d'amour : "aimer pour bien vivre".
Mais les nécessités sociales ne disparaissent pas pour autant et restreignent la liberté de choix. "On fait connaissance au travail, à l'usine, au champ, au mariage de la cousine - un grand classique - ou dans les fêtes du village, c'est-à-dire dans le même milieu social." Les jeunes filles ont plus de latitude que les jeunes hommes et, grâce à l'importance de la séduction, elles peuvent espérer aimer en dehors de leur milieu social. Par exemple, les ouvrières peuvent parvenir à se marier avec un homme de la petite bourgeoisie.
Le flirt profite de la multiplication des lieux de loisirs. "Dès 1900, les cafetiers ouvrent des bals dans leur arrière-salle tous les dimanches. Au début, il y aura un violoneux. Puis, ce sera le phono, le dancing, le cinéma, et après la Seconde Guerre mondiale, les boîtes et les surprises-parties. [...] Savoir danser devient le passeport indispensable de l'amour." Petit à petit, les jeunes gens non mariés acquièrent la liberté de se promener ensemble, de se montrer.
L'autre grande transformation du moment est l'élasticité de la morale sexuelle, dès l'entre-deux-guerres. Malgré la position toujours stricte de l'Eglise, "un nombre croissant de catholiques affirment que l'amour et le plaisir sont indissociables." Ce changement de la morale sexuelle se traduit d'abord dans le langage, par l'utilisation des termes précis pour nommer les parties du corps et non plus d'euphémismes. Avec le langage, les consciences se libèrent aussi, et les pratiques sexuelles sont déculpabilisées.
Mais attention, on ne parle pas encore de sexualité aux adolescents : "le silence prévaut dans les familles jusque dans les années 1960." La seule éducation amoureuse est négative et conseille la méfiance à l'égard du sexe opposé. Les adolescents doivent donc glaner des informations là où ils peuvent, dans les livres. Il subsiste une différence entre les jeunes hommes, incités à se déniaiser dans une maison close ou avec une fille "facile" avant le mariage, et les jeunes filles, qui veulent avoir l'assurance d'être épousées pour traduire leur amour en sexualité (dans la bourgeoisie, on reste attaché à la virginité féminine). Cela dit, si un garçon met une fille enceinte, il doit l'épouser, sinon il est unanimement condamné.
Au fil des années, se développe l'idée que l'amour et la sexualité vont ensemble, et les liaisons avant le mariage augmentent de manière impressionnante : un cinquième des filles ont des relations prénuptiales à la Belle Epoque, un tiers pendant l'entre-deux-guerres, la moité dans les années 1950. "Les relations à l'intérieur du couple sont un peu plus égalitaires, et plus douces, même si les femmes ont en charge les tâches ménagères et beaucoup de tâches éducatives." (Mais l'affirmation du sentiment amoureux aboutit parfois aussi à des formes nouvelles de domination masculine, à des manipulations affectives telle la jalousie tyrannique exercée par certains maris.)
Dans l'entre-deux-guerres, les caresses se généralisent, ainsi que le baiser sur la bouche, symbole de la passion qui jusque-là avait été jugé scandaleux, même en privé (On peut être surpris que cela soit si tardif !). Le sentiment amoureux est à l'avant-garde de l'expression des autres sentiments : "maintenant, on se met à embrasser les enfants, ce qu'on ne faisait pas auparavant. Les enfants expriment eux aussi leur amour, font des câlins aux parents..." Au niveau de la sexualité, les préliminaires et la sexualité buccale se développent, de pair avec le progrès de l'hygiène intime : "le long mouvement de découverte du corps s'engage". Les femmes ne vont pas jusqu'à se montrer nues, elles gardent une ancienne pudeur, mais leurs corps vont commencer à se dévoiler avec les juppes courtes et les maillots de bains à partir des années 30...
L'idéal qui se dessine à l'époque est donc de réunir le mariage, le sentiment et le plaisir. Ajoutez-y les enfants et le travail, ce n'est pas très facile d'y parvenir ! Les couples fondés sur l'amour se brisent plus facilement qu'avant : lassitude, adultère - notamment, pendant les deux guerres...
Les années qui suivirent 1945 sont comparables aux Années folles, marquées par une vague d'émancipation amoureuse et sexuelle. Quelques films font scandale : Les Tricheurs de Marcel Carné, Bonjour tristesse de Françoise Sagan, Le Blé en herbe de Claude Autant-Lara, Les Amants de Louis Malle (photo). "L'optimisme retrouvé, le désir d'être heureux, l'appétit de vivre profitent à l'amour. [...] L'hédonisme s'introduit dans les couples légitimes. Le baby boom en sera un effet." Jusqu'à l'arrivée de la pilule et de la révolution sexuelle...
A suivre... (la révolution sexuelle)
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