La plus belle histoire de l'amour : la révolution sexuelle
La révolution sexuelle : jouissons sans entraves ! (par Pascal Bruckner)
Les années 1960 et 1970, avec ce que l'on a appelé la "révolution sexuelle", font exploser l'idéal rassemblant le mariage, l'amour et la sexualité. Le plaisir arrive désormais au premier plan. Cette période est le fruit de toutes les transformations des décennies antérieures. La maîtrise de la reproduction, avec la pilule contraceptive et la légalisation de l'avortement, va achever cette libéralisation. Le climat de l'époque est tout à fait propice à l'amour libre : la prospérité économique des Trente Glorieuses, l'optimisme politique, l'absence de maladie vénériennes. On parle d'une "parenthèse enchantée" entre la pilule et le sida : tous les corps à corps érotiques sont possibles, sans risques. "Tout d'un coup, le sujet amoureux pouvait se penser vagabondant à travers ses désirs, sans freins ni pénalités. La science avait vaincu la vieille idée du péché sexuel. La liberté semblait sans limites."
Pascal Bruckner témoigne : "Au milieu des années 1960, nous brûlions d'envie de savoir, et nous nous saisissions du moindre signe. [...] Et nous voulions en finir avec cette France corsetée, rigidifiée, fermée. Tout ce que nous pouvions happer de l'étranger - le rock, le blues, la soul, les hippies, les cheveux longs - était convoqué chez nous avec une avidité sans limites. Les garçons et les filles se regardaient comme deux tribus qui allaient bientôt sauter l'une sur l'autre, mais qui restaient encore séparées par des interdits." Ces vieux interdits, c'était "la virginité des femmes avant le mariage (mais c'était presque une plaisanterie), la non-mixité dans les écoles, un certain ascendant des hommes sur les femmes, une forme de pudeur..." Les derniers interdits été rongés de l'intérieur par toute une mentalité démocratique et égalitaire, ainsi que par le mouvement socialiste et ouvrier, l'anarchisme, le surréalisme...
"Mai 68, c'est l'acte d'émancipation de l'individu, qui sape la morale collective. Désormais, on se vit comme des individus. On n'a plus d'ordre à recevoir de personne. Ni de l'Eglise, ni de l'armée, ni de la bourgeoisie, ni du parti... Et puique l'individu est libre, il n'a plus d'autres obstacles face à son désir que lui-même. Vivre sans temps mort, jouir sans entraves." La sexualité agit comme "un instrument de mesure du changement en cours".
Mai 68, c'est l'irruption de la volupté et le droit au désir et au plaisir pour tous : même aux femmes ! "Une jeune fille pouvait choisir qui elle voulait, désobéir à la norme sociale, parentale, familiale..." et son désir était enfin reconnu. Puis on est passé de la reconnaissance au passage à l'acte, expérimentant la sexualité par désir ou par curiosité. "Pendant les années 1960 et 1970, il y eut ainsi une énorme avidité : la vie se déroulait sous les couleurs de l'expérience. On se disait qu'il ne fallait rien refuser, même pas les expériences homosexuelles."
Quant au discours sur la sexualité, il était enveloppé dans une idéologie politique : l'orgasme avait des vertus non seulement hédoniques mais aussi politiques. Citons Wilhem Reich, selon lequel "l'absence d'orgasme permettait d'expliquer le double phénomène du fascisme et du stalinisme : c'est parce que les gens ne jouissaient pas qu'ils se choisissaient un Hitler ou un Staline" (!). "Raoul Vaneigem eut même ce jeu de mots, qui paraît consternant aujourd'hui : "Erection, insurrection !". On tentait donc de raccorder l'amour libre à toutes les idéologies en cours, dans un délire fécond qui permettait de libérer la parole. On allait jusqu'à relier la sexualité à la religion : on croyait qu'elle portait un amour universel, qui puisait directement ses sources du judéo-christianisme. Jusqu'à cette phrase détournée de l'Evangile : "Aimez-vous les uns sur les autres." (!!) "Le sexe était le messager de la promesse. Et la promesse, c'était la fin des barrières entre les hommes, la fin de la haine, l'avènement d'un langage universel." Cette révolution désirante sera ensuite théorisée par Foucault, Deleuze, Guattari...
Mais cette drôle de révolution avait sa face cachée : le discours normatif, la pression du groupe, les culpabilisations perverses... Peu à peu s'établit ce que Pascal Bruckner et Alain Finkielkraut ont appelé "la dictature de l'orgasme obligatoire, l'idée que les hommes et les femmes doivent jouir de la même façon. Il faut prouver qu'on est à la hauteur. L'érotisme entre dans le domaine de la prouesse. [...] Le sexe devient contrainte et exploit." L'interdit porte désormais sur le sentiment amoureux et sur la séduction, considérés comme des survivances du vieux monde. Le couple était considéré comme un assemblage archaïque, ou "une forme transitoire, que l'on empruntait pour aller vers la polygamie ou la polyandrie que l'on souhaitaient plus durables. A l'époque, il y avait un véritable terrorisme anticonjugal."
Quant aux enfants, ils "devaient être élevés à l'inverse de l'éducation reçue par leurs parents, c'est-à-dire dans l'éloge de leur désir. Certains parents allaient jusqu'à faire l'amour devant eux. [...] Partout, on affirmait que l'enfant est déjà un être sexué. La pédophilie n'était pas admise, mais elle comptait un certain nombre de défenseurs."
Les femmes ont alors commencé à ne plus se reconnaître dans cette "accélération de la consommation sexuelle". Elles "ne souhaitaient pas devenir des objets manipulables à volonté par des hommes en chaleur, mais voulaient de nouveaux droits : l'avortement, la contraception, le respect de leur propre désir et la reconnaissance de leur jouissance spécifique... La question du consentement à l'acte sexuel était posée, comme elle le reste aujourd'hui. Une partie du mouvement féministe s'est ainsi dressée contre la masculinité ; une autre, accomodante, a tenté d'inventer des rapports plus harmonieux entre les hommes et les femmes."
Et puis, on a enfin osé revaloriser à nouveau le sentiment : c'est comme une deuxième libération, entamée par des intellectuels comme Roland Barthes (Fragments d'un discours amoureux), Michel Foucault (Histoire de la sexualité), Alain Finkielkraut et Pascal Bruckner (Le Nouveau Désordre amoureux). Ils ont voulu "faire comprendre que la notion de révolution sexuelle n'avait aucun sens, que l'amour n'était pas réformable, qu'il n'y avait pas de progrès en amour." On pouvait à la fois vivre toutes les lubies de son corps et aimer comme autrefois.
Malgré les excès, les débordements et les dogmatismes de la révolution sexuelle, le bilan reste positif. Les femmes y ont gagné des droits indéniables. Depuis 1970, le père et la mère se partagent à égalité le statut de chef de famille (si cela était appliqué au Maghreb, ce serait une révolution ! on comprend bien pourquoi il s'agit vraiment d'une "révolution" dans l'histoire de l'amour...). Mais les libertés acquises ont un prix : la responsabilité et la solitude. Nous nous retrouvons seuls devant le gouffre de nos propres choix. "Le couple doit désormais se soumettre à un examen constant de ses propres règles. Résultat, la sexualité est peut-être plus libre, mais elle est devenue anxieuse d'elle-même. Sommes-nous de bons parents ? De bons époux ? De bons amants ? L'individu moderne est contraint en permanence de s'inventer et de s'évaluer."
C'est la fin (provisoire) de notre longue histoire... Et pour donner mon sentiment personnel, je peux dire que malgré cette forte responsabilité et cette angoisse, je suis bien heureuse de vivre à notre époque. Je suis trop attachée à l'idée d'autonomie, de liberté (dans le sens existentiel, de Sartre : on se définit par ce que l'on fait, mais il faut bien pouvoir faire ce que l'on veut !). Comment auraient été nos vies amoureuses si elles nous étaient dictées par l'Eglise, l'Etat, le milieu, les coutumes...? Mais il faut bien reconnaître aussi que nous avons bien de la chance de vivre dans cette partie du monde aujourd'hui...
Les années 1960 et 1970, avec ce que l'on a appelé la "révolution sexuelle", font exploser l'idéal rassemblant le mariage, l'amour et la sexualité. Le plaisir arrive désormais au premier plan. Cette période est le fruit de toutes les transformations des décennies antérieures. La maîtrise de la reproduction, avec la pilule contraceptive et la légalisation de l'avortement, va achever cette libéralisation. Le climat de l'époque est tout à fait propice à l'amour libre : la prospérité économique des Trente Glorieuses, l'optimisme politique, l'absence de maladie vénériennes. On parle d'une "parenthèse enchantée" entre la pilule et le sida : tous les corps à corps érotiques sont possibles, sans risques. "Tout d'un coup, le sujet amoureux pouvait se penser vagabondant à travers ses désirs, sans freins ni pénalités. La science avait vaincu la vieille idée du péché sexuel. La liberté semblait sans limites."
Pascal Bruckner témoigne : "Au milieu des années 1960, nous brûlions d'envie de savoir, et nous nous saisissions du moindre signe. [...] Et nous voulions en finir avec cette France corsetée, rigidifiée, fermée. Tout ce que nous pouvions happer de l'étranger - le rock, le blues, la soul, les hippies, les cheveux longs - était convoqué chez nous avec une avidité sans limites. Les garçons et les filles se regardaient comme deux tribus qui allaient bientôt sauter l'une sur l'autre, mais qui restaient encore séparées par des interdits." Ces vieux interdits, c'était "la virginité des femmes avant le mariage (mais c'était presque une plaisanterie), la non-mixité dans les écoles, un certain ascendant des hommes sur les femmes, une forme de pudeur..." Les derniers interdits été rongés de l'intérieur par toute une mentalité démocratique et égalitaire, ainsi que par le mouvement socialiste et ouvrier, l'anarchisme, le surréalisme...
"Mai 68, c'est l'acte d'émancipation de l'individu, qui sape la morale collective. Désormais, on se vit comme des individus. On n'a plus d'ordre à recevoir de personne. Ni de l'Eglise, ni de l'armée, ni de la bourgeoisie, ni du parti... Et puique l'individu est libre, il n'a plus d'autres obstacles face à son désir que lui-même. Vivre sans temps mort, jouir sans entraves." La sexualité agit comme "un instrument de mesure du changement en cours".
Mai 68, c'est l'irruption de la volupté et le droit au désir et au plaisir pour tous : même aux femmes ! "Une jeune fille pouvait choisir qui elle voulait, désobéir à la norme sociale, parentale, familiale..." et son désir était enfin reconnu. Puis on est passé de la reconnaissance au passage à l'acte, expérimentant la sexualité par désir ou par curiosité. "Pendant les années 1960 et 1970, il y eut ainsi une énorme avidité : la vie se déroulait sous les couleurs de l'expérience. On se disait qu'il ne fallait rien refuser, même pas les expériences homosexuelles."
Quant au discours sur la sexualité, il était enveloppé dans une idéologie politique : l'orgasme avait des vertus non seulement hédoniques mais aussi politiques. Citons Wilhem Reich, selon lequel "l'absence d'orgasme permettait d'expliquer le double phénomène du fascisme et du stalinisme : c'est parce que les gens ne jouissaient pas qu'ils se choisissaient un Hitler ou un Staline" (!). "Raoul Vaneigem eut même ce jeu de mots, qui paraît consternant aujourd'hui : "Erection, insurrection !". On tentait donc de raccorder l'amour libre à toutes les idéologies en cours, dans un délire fécond qui permettait de libérer la parole. On allait jusqu'à relier la sexualité à la religion : on croyait qu'elle portait un amour universel, qui puisait directement ses sources du judéo-christianisme. Jusqu'à cette phrase détournée de l'Evangile : "Aimez-vous les uns sur les autres." (!!) "Le sexe était le messager de la promesse. Et la promesse, c'était la fin des barrières entre les hommes, la fin de la haine, l'avènement d'un langage universel." Cette révolution désirante sera ensuite théorisée par Foucault, Deleuze, Guattari...
Mais cette drôle de révolution avait sa face cachée : le discours normatif, la pression du groupe, les culpabilisations perverses... Peu à peu s'établit ce que Pascal Bruckner et Alain Finkielkraut ont appelé "la dictature de l'orgasme obligatoire, l'idée que les hommes et les femmes doivent jouir de la même façon. Il faut prouver qu'on est à la hauteur. L'érotisme entre dans le domaine de la prouesse. [...] Le sexe devient contrainte et exploit." L'interdit porte désormais sur le sentiment amoureux et sur la séduction, considérés comme des survivances du vieux monde. Le couple était considéré comme un assemblage archaïque, ou "une forme transitoire, que l'on empruntait pour aller vers la polygamie ou la polyandrie que l'on souhaitaient plus durables. A l'époque, il y avait un véritable terrorisme anticonjugal."
Quant aux enfants, ils "devaient être élevés à l'inverse de l'éducation reçue par leurs parents, c'est-à-dire dans l'éloge de leur désir. Certains parents allaient jusqu'à faire l'amour devant eux. [...] Partout, on affirmait que l'enfant est déjà un être sexué. La pédophilie n'était pas admise, mais elle comptait un certain nombre de défenseurs."
Les femmes ont alors commencé à ne plus se reconnaître dans cette "accélération de la consommation sexuelle". Elles "ne souhaitaient pas devenir des objets manipulables à volonté par des hommes en chaleur, mais voulaient de nouveaux droits : l'avortement, la contraception, le respect de leur propre désir et la reconnaissance de leur jouissance spécifique... La question du consentement à l'acte sexuel était posée, comme elle le reste aujourd'hui. Une partie du mouvement féministe s'est ainsi dressée contre la masculinité ; une autre, accomodante, a tenté d'inventer des rapports plus harmonieux entre les hommes et les femmes."
Et puis, on a enfin osé revaloriser à nouveau le sentiment : c'est comme une deuxième libération, entamée par des intellectuels comme Roland Barthes (Fragments d'un discours amoureux), Michel Foucault (Histoire de la sexualité), Alain Finkielkraut et Pascal Bruckner (Le Nouveau Désordre amoureux). Ils ont voulu "faire comprendre que la notion de révolution sexuelle n'avait aucun sens, que l'amour n'était pas réformable, qu'il n'y avait pas de progrès en amour." On pouvait à la fois vivre toutes les lubies de son corps et aimer comme autrefois.
Malgré les excès, les débordements et les dogmatismes de la révolution sexuelle, le bilan reste positif. Les femmes y ont gagné des droits indéniables. Depuis 1970, le père et la mère se partagent à égalité le statut de chef de famille (si cela était appliqué au Maghreb, ce serait une révolution ! on comprend bien pourquoi il s'agit vraiment d'une "révolution" dans l'histoire de l'amour...). Mais les libertés acquises ont un prix : la responsabilité et la solitude. Nous nous retrouvons seuls devant le gouffre de nos propres choix. "Le couple doit désormais se soumettre à un examen constant de ses propres règles. Résultat, la sexualité est peut-être plus libre, mais elle est devenue anxieuse d'elle-même. Sommes-nous de bons parents ? De bons époux ? De bons amants ? L'individu moderne est contraint en permanence de s'inventer et de s'évaluer."
C'est la fin (provisoire) de notre longue histoire... Et pour donner mon sentiment personnel, je peux dire que malgré cette forte responsabilité et cette angoisse, je suis bien heureuse de vivre à notre époque. Je suis trop attachée à l'idée d'autonomie, de liberté (dans le sens existentiel, de Sartre : on se définit par ce que l'on fait, mais il faut bien pouvoir faire ce que l'on veut !). Comment auraient été nos vies amoureuses si elles nous étaient dictées par l'Eglise, l'Etat, le milieu, les coutumes...? Mais il faut bien reconnaître aussi que nous avons bien de la chance de vivre dans cette partie du monde aujourd'hui...
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